textes écrits par les participants du sentier d'écriture Matabiau-Carmes, samedi 19 novembre 2011 |
Quai de l'exil
Celui qui charrie autant d'eau a dû beaucoup pleurer. Le fleuve de larmes a transporté ici les esprits tourmentés sur le quai des exilés. Celle qui passe devant moi va s'arrêter elle aussi, un peu plus loin. Elle a connu tant de souffrance que son cœur s'est durci jusqu'à couler au fond de l'eau et être roulé comme un galet par le courant. L'endroit où nous sommes est un havre de paix pour mortifiés, le terminus des tourments, le sanctuaire des révolutions, la boîte aux cris calfeutrés, le cimetière des tueurs d'idées. Celle dont le cœur vient de s'échouer là n'est pas vraiment seule. Des milliers d'autres se sont échoués au même point de non retour. Et l'histoire se répète et voit encore aujourd'hui une foule d'exilés, tels des fantômes arrivés en rang serré. Je n'aime pas ce lieu. Il me fait peur. Une fête y a été célébrée. Il y grouillait une foule d'esprits errant là depuis leur fuite du régime. Ils sont bruyants. Ils disent tous la violence qu'ils ont vécu, et celle plus insidieuse qu'ils vivent encore. Ils hurlent au vent que l'exil est sans fin et sans retour. Ils prient le fleuve et supplient les vivants de prendre garde. Car le quai de l'exil voit passer tous les trains des tourments voyageurs, ceux qui viennent comme ceux qui partent, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui. Prochain départ : 15 h 56 par le train de l'espoir, direction fin de l'histoire.
PIERRE |
Celle qui a eu le courage de partir en exil, loin de ses terres ancestrales, de ses racines, de sa famille. Celle qui s’est battue pour ses convictions, pour la liberté, la pensée libre et l’égalité. Celle par qui tout a commencé, la confusion, l’explosion, la rébellion, agonisant dans la souffrance de l’avidité humaine, de la cruauté pure. Celle par qui les sages les plus fous ont fait couler le sang des affreux, égorger les dictateurs et rayer de la page ces étrangleurs de vie. Celle par qui la force a vaincu la peur, alliant résistance, vengeance et croyance. Celle par qui arrive enfin la tolérance, la fin des souffrances et fait renaître le cœur de la vie, de la confiance, de l’amour. Celle qui, un soir d’hiver, a cru voir briller dans ces yeux la fin d’une vie, la fin de la vie, celle qui était à vif, comme éperonnée et traînée au fin fond des égouts. Celle qui a vu son corps se recouvrir de neige, un soir d’hiver, et sentir couler les larmes chaudes sur ses joues de sables. Celle qui lui a tenu la main jusqu’au dernier battement de cœur, jusqu’au dernier souffle … Celle qui …
AGNES |
SUR LE QUAI DE L’EXIL
Celui qui part Celle qui arrive Celui qui ne voulait pas Celle qui désire tant Celui qui n’en peut plus Celle qui rit Celui qui glisse Celle qui le soutient Celui qui charge Celle qui porte Celui qui décide Celle qui pleure Celui qui hurle Celle qui a froid Celui qui est indifférent Celle qui a faim Celui qui est perdu Celle qui trouve Celui qui a peur Celle qui regarde au loin Celui qui embarque le premier Suivit de tous les autres Celle qui viendra… Enfin Peut-être … si Plus tard … SUR LE QUAI DE L’EXIL
BERNADETTE |
Celle dont je ne connais pas le nom, Celle qui a été muselée et asservie pendant des années, Celle qui s’est dressée contre ceux qui l’oppressaient, Celle qui a dit tout haut ce que d’autres taisaient, Celle qui ne pouvait plus fermer les yeux, Celle qui a prouvé qu’il fallait se battre pour ses idées, Celle qui était prête à en payer le prix, Celle qui a porté la révolte à bout de bras, Celle qui a risqué sa vie pour la Justice, Celle qui nous a insufflé le goût de la liberté, Celle qui a lutté avec ses frères d’armes, Celle qui a porté haut les valeurs de la République, Celle qui a sacrifié l’amour de son pays pour s’exiler, Celle qui a enterré ses morts avant de se retourner, Celle qui est partie pour mieux revenir, Celle qui a fait le pari d’un avenir meilleur ailleurs, Celle qui a débarqué dans cette ville, Celle qui était assise à ma place sur ce quai, Celle qui s’est battue pour changer les choses, Celle qui a dit « après nous, plus jamais ça », Celle qui constate avec regret que l’histoire ne fait que se répéter.
RITA |