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26 juillet 2009 7 26 /07 /juillet /2009 20:08

Connaissez-vous la Côte de Gazelle ? C’est un merveilleux pays dont le rivage a la découpe d’une gazelle à l’affût. Il est beau de voir, chaque soir, le soleil y déposer sa grande couronne rouge. L’animal fétiche du pays, c’est une sympathique vipère à cornes qui,  inévitablement, surgit de derrière la dune.

Certains jours, la vipère à cornes s’amuse à dessiner de véritables hiéroglyphes sur les pentes sablonneuses, ce qui fait la joie du cueilleur de mots que vous êtes… Il lui arrive aussi que, se prenant pour une fleur, la vipère à cornes se dresse de tout son petit corps pour se faire cueillir. Et vous, pour ne pas la contrarier, vous lui dîtes : « Ça va, je sais, tu n’es pas une vipère à cornes, alors, laisse moi deviner… heu… tu es une chouette ! », et instantanément, la vipère à cornes se transforme en chouette ! On peut lui dire tout ce qu’on veut, mais toujours selon la formule: « sava jeussé, tu né pasu nevi peracorn, alorlés seumoi deu viné, tu es un support de jarre », la vipère à cornes ne se vexe pas, elle se transforme en support de jarre et comme elle a le sens de l’esthétique, elle le complète avec une jarre remplie d’une huile d’or. Tenez ! Tant que vous y êtes, si vous avez faim, vous pouvez lui dire, suivant le protocole : « sava jeussé, tu né pasu nevi peracorn, alorlés seumoi deu viné, tu es  une galette de pain », et la petite vipère à cornes se laisse dévorer immédiatement, d’où l’expression : avaler des couleuvres qui, selon les pays, prend des sens différents. Quant à vous, votre vipère a cornes, vous la trouvez absolument délicieuse.

Mais ne vous avisez pas de lui demander de se transformer en cobra car c’est le nom du pays d’à côté. Quand on touche aux emblèmes nationaux, à l’instar de beaucoup d’autres peuples, les Gazellois se montrent assez chatouilleux.

Ce jour-là, en ce beau pays, un vautour planait au dessus des roseaux fleuris, mauvais signe, semble-t-il… mais de quoi ?  Nous ne pourrions le dire… La jeune Vasudebkoalaré marchait dans le sable tiède, accompagnée d’une petite caille boiteuse (la pauvre, elle s’était pris le pied dans une corde pour entraver les animaux et la jeune fille, d’une main experte, avait réussi à la délivrer). Toutes deux allaient se désaltérer au grand bassin d’eau. Tandis que Vasudebkoalaré se penchait sur le bassin pour faire boire la petite caille au mince, trop mince, filet d’eau, elle laissa échapper de son foulard une jolie mèche de lin tressé. Aussitôt, le vautour piqua droit sur elle et s’en empara.

Malheur ! La mèche de lin tressé faisait toute la beauté de la jeune fille. Maintenant, Vasudebkoalaré allait connaître la laideur dans sa propre chair. Cela ne tarda pas, elle fut bientôt affublée d’épaisses paupières de grenouille… ses lèvres se mirent à gonfler jusqu’à former deux grosses limaces… Et la pauvre jeune fille ne put que constater comment ses avant-bras prirent l’aspect du bois sec tandis que ses mains devinrent pareilles à des feuilles mortes comme on n’en voyait pas dans le pays. Quelle horreur ! Vasudebkoalaré avait terriblement honte. Mais ce qui la rendait malheureuse plus que tout, c’est que, dans cet état, elle ne pourrait plus épouser le scribe qu’elle admirait pour son savoir et qui l’aimait pour sa beauté. Elle alla se réfugier dans un abri de roseaux et la petite caille la suivit par solidarité.

Mais pouah ! Quelle odeur là-dedans ! C’est alors que Vasu, comme on l’appelait dans le voisinage, aperçut dans un coin un tas informe et pourrissant où elle crut reconnaître une queue de mammifère, puis, peut-être, un ventre recouvert d’une masse visqueuse qui pouvait être du placenta, une bête morte en couches, sans doute… Était-ce un mauvais présage ? Vasu était au comble du désespoir. Cependant, malgré la puanteur, elle ne pouvait se résoudre à sortir de sa cachette. Elle ferma le verrou et se roula en boule sur une étoffe pliée dans un angle de la case. La petite caille, désorientée, se mit à pépier pour appeler à l’aide. Apparut une vipère à cornes, immédiatement transformée en point d’interrogation, une deuxième en point d’exclamation et une troisième en miroir. La quatrième, une petite fée bleue, dit à Vasu :

-Regarde-toi, affronte ta laideur, allez ! C’est ça, le vrai secret de la beauté, regarde toi telle que tu es ! Et quant à l’odeur, tu dois t’y faire, ma fille ! La vie, ça sent pas toujours la rose !

La  jeune fille se voyant dans le miroir poussa un cri d’épouvante qui la rendit encore plus laide. Elle fit une crise de nerf, puis deux, puis trois, puis se calma.

- Que vois tu ?  insista la petite fée bleue.

Quand Vasu osa se regarder une nouvelle fois, ce qu’elle vit était vraiment trop horrible à voir, mais elle finit par dire :

- Une grenouille… 

- Oui, il y a de ça ! dit la fée, mais encore ? 

- Une limace,  répondit Vasu, dégoûtée.

- Eh bien, on progresse… rétorqua le fée qui ressemblait de plus en plus à une vipère à cornes.

- Mais quelle horreur ! se lamenta Vasu

- Oh, il y a pire ! dit la fée, moi, à une époque, je me suis transformée en cafetière, je n’en suis pas morte…  mais du calme, c’est normal, tout change, tout se transforme. Et maintenant, je vais te dire un secret : la vraie beauté réside en l’art de la métamorphose, en notre capacité à vivre et à devancer le changement. Afin que tu ne l’oublies jamais, il y a une formule magique que tu dois répéter chaque matin : Palsambleu et cassoulet de Paris, toupasteutracassepas !

 

À peine la fée eut-elle prononcé ces mots abracadabrants que la jeune fille partit d’un rire du tonnerre qui ne la rendit ni belle ni laide mais plutôt agréable et extrêmement sympathique. Ainsi, petit à petit, en voulant bien se regarder et s’accepter et en rigolant de tout et de rien, la jeune fille retrouva une certaine beauté. Ce n’était plus exactement la même beauté flagrante, mais une beauté à découvrir par qui saurait la découvrir et la redécouvrir. L’histoire ne dit pas si le scribe, tout savant qu’il était, sut redécouvrir la beauté de Vasudebkoalaré.

Mireille

 
   
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