J'ai passé la semaine en Provence, trois jours en stage professionnel à Salon de Provence, et trois jours à visiter Les Baux, St Rémy, Miramas le Vieux, le palais des papes à Avignon, le théâtre antique d'Orange et autres. Bien évidemment, j'en garderai un merveilleux souvenir. Mais je n'oublierai jamais le village de Saint Chamas, miraculeux rescapé de l'industrialisation de l'étang de Berre sur les rives duquel il se situe.
Un soir après la formation, mon ami et moi décidons d'aller dîner hors de Salon et de nous diriger vers Marseille. Nous arrivons par hasard à Saint Chamas, n'ayant pas consulté de guide touristique, seulement la carte routière. Nous découvrons alors un décor aussi beau qu'inattendu, dans la lumière d'une belle journée d'un soir du mois de mai. Je comprends pourquoi de grands peintres, comme Van Gogh, souhaitaient restituer cette lumière et ces couleurs de Provence !
Après avoir longé la rue principale bien ombragée d'énormes platanes, où les quelques commerces encore ouverts, ferment leurs devantures, nous arrivons sur une vaste place face à l'étang. S'y trouvent quelques voitures garées sur le parking, elle semble désertée. Seuls quelques habitants sont encore attablés pour l'apéritif au bar de la Marine qui y a installé quelques tables, et un ou deux pêcheurs déambulent encore près de leurs filets et de leur barque colorée, amarrée avec les autres dans un petit bassin, prêtes à rejoindre l'étang demain. Un couple joue avec ses deux enfants dans un petit square, sous quelques jeunes pins parasol. Quand on se retourne vers la terre, nos yeux se délectent de tant de beauté ; la place est adossée à une haute colline ocre percée de fenêtres dans la terre même, ce sont des maisons troglodytes ! Ces fenêtres vitrées se trouvent dans la partie supérieure de la colline et on se demande comment l'on pénètre à l'intérieur de ce qui semble être des habitations. En dessous, des maisons ancestrales s'imbriquent les unes dans les autres, sur différents niveaux, certaines peintes de couleurs vives, aux balcons chargés de fleurs multicolores, mais pas de ces fleurs convenues dans des pots modernes, non des fleurs et des arbustes grimpants, de plusieurs variétés modestes. Tout est tellement authentique ! Ici pas de HLM, pas de maisons ultra modernes et tape à l'œil ! Quand on observe bien, on aperçoit plus loin sur notre gauche, surplombant les maisons, le clocher d'une église qui ressemble à un campanile italien et une partie des arches d'un pont très haut, et sûrement très ancien, surmonté d'une horloge, qui relie cette colline à une autre. Ne voyant pas son utilité, on se promet d'aller le voir de plus près tout à l'heure. Les martinets nous accompagnent, tournoyant au-dessus de nos têtes, lançant leurs cris stridents et rejoignant leurs nids, sous les toitures. A ce moment précis, j'aimerais saisir cet instant et peindre ce décor de rêve.
Mais avant d'aller plus loin, nous voudrions bien trouver quelque chose à nous mettre sous la dent, nous partons à la recherche d'un restaurant, mais ici cela ne semble pas touristique, les rues sont d'un calme qui nous paraît étrange, dans un endroit aussi magnifique. Nous croisons deux ou trois habitants affables qui nous informent qu'à cette heure-ci, tout est fermé, à part peut-être un restaurant à l'autre bout du village. Au coin de la rue, l'un d'entre eux bavarde avec le pizzaiolo local, à travers un fenestrou à barreaux qui donne sur le fournil. Voilà ce qu'il nous faut, nous entrons dans la pizzeria qui n'a absolument rien à voir, encore une fois, avec celles que l'on connaît. Sur le sol de terre battue de cette vieille bâtisse aux murs épais, comme décor, pas de tables, ni de chaises, ni de scooter rouge devant la porte pour les livraisons, seuls trônent un distributeur de boissons devant le comptoir rustique et un grand pétrin de boulanger d'autrefois qui contient entr'autres des photos agrandies en noir et blanc, de Raimu, dans le rôle du boulanger, avec Ginette Leclerc, ainsi que celle de Fernandel dans celui de Don Camillo. Un grand gaillard, vêtu de blanc, oreillette de téléphone vissée à l'oreille, prend une boule de pâte et la bât dans tous les sens, devant le manteau d'un vaste four, où il l'enfourne après l'avoir garnie selon les commandes. Nous attendons la nôtre et pendant ce temps, j'engage la conversation avec le copain du pizzaiolo à qui je pose quelques questions sur son village d'origine dont il est parti, me raconte-t-il, quelques années et où il est revenu depuis peu. : « Oui, les maisons troglodytes ont toujours été habitées, il en reste une quinzaine et certaines étaient particulièrement bien aménagées, l'été elles sont très fraîches, mais l'hiver elles sont humides » me confie-t-il.
Nantis de notre pizza, nous allons la déguster sur un banc sur la place, face à l'étang, admirant le soleil couchant. A cette heure, il prend des couleurs pourpres, irisant de mille feux tout ce qu'il caresse avec douceur, rendant éclatantes les barques qui se reflètent dans l'eau et qui font la plus belle « marine » qui soit.
Nous décidons de nous promener dans le village et de percer le mystère des maisons troglodytes. Une étroite rue longe la colline où nous remarquons qu'y sont accrochés des fils électriques et de téléphone, ainsi que des filets pour prévenir les chutes de pierres. Nous arrivons sous les arcades du pont sous lesquelles passe la route et qui s'avère être un aqueduc du XIX ème siècle. L'horloge, de bonne taille, remplacée en 1902, est vue des deux côtés par les villageois. Nous empruntons des escaliers sur son flanc qui nous amènent ô surprise, derrière la colline où nous découvrons une autre partie du village adossée au versant opposé. Grimpant toujours les escaliers, nous nous apercevons que les maisons sur notre droite sont partiellement enfoncées dans la terre. Les habitants les occupent donc ainsi. Une vieille dame fermant les volets de sa petite maison située sur notre gauche, note notre air ébahi et nous interpelle :
-« voulez-vous voir ma « grotte » ? nous propose-t-elle avec gentillesse, nous montrant la porte en face de chez elle, dans la terre.
Mon ami est encore plus interloqué que moi.
-« non, ne vous dérangez pas » répond-il
- « mais si, voici la clé, après je vais me coucher, la serrure est à l'envers, pour ouvrir, vous fermez, il y a longtemps que je n'y vais plus » nous dit-elle.
Surpris et ravis par tant de confiance, nous allons visiter « la grotte », creusée dans la terre, en forme de voûte, sur toute la largeur de la colline, et haute de plafond. D'abord impressionnée, je n'arrive pas à y pénétrer vraiment, comme le fait mon ami qui va jusqu'à la fenêtre pour admirer la vue qui s'offre à lui, donnant sur l'étang et la place. Malgré cette fenêtre qui l'éclaire un peu, elle est sombre. Elle abrite tout le bric-à-brac d'une vie, ayant uniquement servi de remise depuis toujours. Cela ressemble à une cave où l'on doit pouvoir conserver de la nourriture et du vin, à bonne température. Nous ne nous attardons pas et rendons la clé à la vieille dame qui nous informe que nous pouvons continuer à pied jusqu'à la statue d'une vierge, relativement loin. En effet nous apercevons des promeneurs sur le faîte de la colline et par conséquent sur le toit végétal des grottes. Nous redescendons par une rue très en pente bordée de maisonnettes anciennes et fleuries pour arriver à nouveau sous les arcades de l'aqueduc, sur une placette où jouent quelques enfants dont les parents discutent à la terrasse d'un bar.
C'est l'heure entre chien et loup, quand le jour n'est pas tout à fait fini et la nuit pas encore tombée. Les formes s'estompent doucement. Nous décidons avant qu'il ne fasse trop noir, d'aller voir le pont romain que nous avons aperçu à l'entrée du village, le pont Flavien, bâti au 1er siècle avant Jésus Christ par les romains. Nous pouvons le visiter sans problème, il n'y a aucune barrière, aucune guérite, il est libre d'accès. Il est en bon état, surplombant la petite rivière de la Touloubre qui lors des orages méditerranéens, doit gonfler jusque sous ses solides arches. Il est éclairé par deux gros phares, nous pouvons l'admirer à notre aise et laisser parler notre imagination, en arpentant sa chaussée grossièrement pavée. Aucun véhicule ne peut y passer maintenant, un autre pont a été construit à proximité, il est dévolu au seul usage des visiteurs et des promeneurs, à pied.
Voilà, la soirée se termine, nous devons rentrer à Salon. Il faudra revenir pour visiter notamment, le parc de la poudrerie, dont nous avons vu le panneau. Quelle belle soirée et comme il est agréable de constater que tout n'est pas une question d'argent, qu'il existe encore des villages comme celui-ci, où règne une douceur de vivre incomparable.
Clara